Ed Alcock

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Nos meilleures années ?

Nos meilleures années ?

Par Ed Alcock

Adapté de l’anglais par Muriel Boselli

Suite à deux tentatives de suicide à Lyon, Ed Alcock est parti à la rencontre d’étudiants durement frappés par les conséquences de la crise sanitaire. La solitude, la pauvreté, l’épuisement et la faim rythment ce qui aurait dû être leurs meilleures années.

Père d'un étudiant en première année d’université, je n'avais pas imaginé la souffrance ressentie par des milliers, voire des millions de filles et garçons de sa génération. J’avais, à tort, projeté le sort de mon fils sur les autres: enfermé dans une chambre d’enfant depuis un an, la rage au ventre de ne pouvoir commencer sa vie d’adulte. 

Lors d’un reportage dans un Crous, situé dans un quartier excentré de Lyon, j’ai été horrifié de découvrir ces jeunes, qui, privés de soutien financier, et confrontés à la quasi-impossibilité de trouver des petits emplois pour survivre, se réveillent chaque jour, dans des chambres exiguës, se demandant s’ils pourront manger à leur faim, payer leur loyer, leur forfait internet et téléphonique. Une charge mentale qui vient s’ajouter à une dizaine d’heures par jour passées devant un écran, dans une solitude effarante, éloignés de leur famille et de leurs amis.

L’objet du reportage était de faire la lumière sur ces jeunes au bord du gouffre, et pour certains, prêt à sauter dans le vide, depuis leur petite fenêtre. 

Valentin, 19 ans, en première année d’école de commerce, nous raconte ce moment, où il a aperçu une jeune étudiante, prête à se défenestrer, depuis le cinquième étage de leur résidence morne et bétonnée : « Elle criait, faisant un bruit terrifiant, semblable à celui d'un animal. J'ai attendu dans la cour en dessous, où elle pouvait me voir. J'avais peur qu'elle saute s'il n'y avait pas de témoins ».

Avec Marie, une amie, ils ont réussi à alerter à temps les pompiers pour l’empêcher de commettre l’irréparable. 

C’était le 12 janvier 2021, un jour froid et humide, à jamais gravé dans leur mémoire. Le jour où l’effroi est entré dans leur vie, où l’enfance à basculé.

Marie, 18 ans, est une jeune fille stoïque et sérieuse. En première année de prépa d’économie, sociologie et maths appliqués, elle ne veut pas retourner vivre chez elle, à Chalon-sur-Saône, de peur de contaminer ses proches, se condamnant ainsi à purger une peine indéfinie à la résidence universitaire.

Comme dans un cauchemar, Marie a le sentiment de crier sa détresse mais de ne pas être entendue. Combien de tentatives de suicide avant que les choses ne changent? Dans la communauté étudiante de Lyon, la jeune fille du cinquième étage était déjà la deuxième à vouloir mettre fin à ses jours.

Dans les étages de la résidence, nous déambulons dans de longs couloirs lugubres qui me rappellent ceux de l’hôtel de The Shining de Stanley Kubrick, les dorures en moins. Nous faisons du porte à porte.

Dalila ouvre la sienne. C’est une jeune femme solaire, d’une résilience qui m’impressionne. Avide d’aventures, elle a débarqué à Lyon en septembre 2020, en provenance de Dresde dans l’est de l’Allemagne, sans aucune notion de français. Son objectif: acquérir au plus vite un diplôme linguistique afin de pouvoir poursuivre des études de physique. 

En janvier, c’est chose faite. Elle s’exprime désormais parfaitement dans la langue de Molière. Gros bémol, la licence de physique ne démarrant qu’à la rentrée 2021, elle ne pourra garder le reste de l’année sa chambre dans la résidence universitaire, qui accueille environ 1500 étudiants, dont un tiers sont étrangers.

Ne voulant interrompre sa lune de miel avec la France, elle devra chercher un appartement plus cher en centre ville.

« Je passe mes journées à chercher un emploi pour subvenir à mes besoins et payer mon loyer, qui sera plus élevé dans le secteur privé » nous raconte-t-elle. « Avant, beaucoup d'étudiants avaient des petits boulots dans les restaurants. Mais ils sont tous fermés. »

Faute de moyens, les étudiants ont également faim, aussi incroyable que cela puisse paraitre. 

Le 21 janvier, Emmanuel Macron a annoncé que tous les étudiants auraient accès à deux repas par jour pour un montant de un euro. Mais le resto U de la résidence est fermé. Les étudiants doivent se rendre dans le centre de Lyon, un trajet de 45 minutes, faire la queue et récupérer leurs deux repas, puis revenir à la résidence à temps pour se connecter à leur prochain cours. Mission impossible pour beaucoup.

L'autre option est de faire la queue à la banque alimentaire fondée par Catherine Fillon, professeur de droit à Lyon III, au centre ville.

« Au début du premier confinement, je me suis rendu compte qu'on parlait beaucoup de la continuité pédagogique, mais absolument pas de la continuité alimentaire. Malgré le fait que de nombreux étudiants n'ont pas pu retourner dans leurs familles, le Crous a même fermé les restaurants universitaires à travers le pays. »

La banque alimentaire prend en charge jusqu'à 200 étudiants par jour, essentiellement étrangers, leur fournissant des produits alimentaires de base : légumes, pâtes, boites de conserves et autres produits sanitaires. 

« La crise est particulièrement difficile pour eux, car ils n'ont pas de famille ici, et peu de réseau d’amis », explique-t-elle. « Ils ont besoin de familles françaises pour les encadrer, les soutenir et les guider un peu. »

Le soir venu, nous retrouvons Stanley, un haïtien de 25 ans, dans une cuisine qu’il partage avec ses voisins, sirotant un thé. Sa peine me transperce. Si certains étudiants trouvent les resources intérieures pour continuer à lutter, d’autres ont plus de difficultés. 

Cet étudiant en master de sociologie est très marqué par cette année de crise. Enfermé dans une chambre de neuf mètres carrés pendant les deux mois qu’a duré le premier confinement, il est devenu agoraphobe. Il a perdu son emploi d’étudiant à la SNCF.« Pour l'instant, je survis avec mes maigres économies », s’inquiète-t-il. 

Comme souvent après mes reportages, je quitte Lyon avec plus de questions que de réponses : les étudiants, et l'ensemble des jeunes, continueront-ils à être les grands oubliés de la crise ? Mon fils et les autres feront-ils un jour l'expérience de s'asseoir sur un banc dans un amphithéâtre ? Les années universitaires, censées être nos meilleures années, resteront-elles dans leurs mémoires comme les pires ?  

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