Dakar Nuit

Dakar Nuit 

Ulrich Lebeuf

 

 

 

Regarde-toi ! ...Mais rendre la lumière 
Suppose d'ombre une morne moitié
.

 

 

 

Il y a deux ans jour pour jour je recevais un appel depuis Dakar, pour me dire que tout était terminé.

 

En février 2015, j'y reviens pour une résidence de deux semaines, il s'agit d'une immersion artistique dans la ville. L'objectif était d'initier une collaboration interculturelle par le biais de la photographie, perçue comme une discipline grand public. Nous plongions au coeur de la ville, dans une sorte d'exploration qui déboucheraient plus tard sur une exposition, donnant à voir, à proposer un nouveau regard sur le territoire. C'était pour ma partie un exercice imposé qui tirait sur le documentaire. Documenter une ville inconnue, moi cela fait 20 ans que je n'y ai pas mis les pieds alors. Je ne reconnais pas grand chose, j'avance, je pousse les portes.

 

Dakar, ancienne métropole coloniale, est une capitale de 3 500 000 habitants, une grande ville, au tissu urbain dense et bigarré. Loin du cadre touristique, du soleil, des filles dociles, je choisis de l'infiltrer par ses vies nocturnes. Dakar est une ville où la vie ne s’arrête quasiment jamais, y compris la nuit. Les couleurs acides montent à la tête, enivrante comme une maîtresse peut avoir le goût de l'infini.

 

On y dérive, j'erre ainsi dans les lumières âpres, les vapeurs urbaines. Je papillonne, attiré par ces lampes, d'espace en ambiance, je cherche. Sans trouver, je déambule dans les rues, escale dans des bars, je cherche et je ne trouve pas. Je m'assoie à des tables, sans y être invité. Dakar, ville assourdissante. Quelques verres partagés. Silence. J'observe cette scénographie de la nuit quand on l'ignore, j'observe en silence le boucan infernal de cette ville qui ne dort pas. Partout c'était des images indifférenciées, brutes, incompréhensibles, bruyantes et colorées, tristes, agressives et joviales.

 

Je suis accompagné par Pape Mamadou, il cause assez pour deux celui-là. Je ne parlerai pas, chemin faisant malgré moi. Les nuits sont sans avant ni après, ni soleil ni ombre, dans une veille à demie conscience je me laisse aller, les choses se confondent en une seule, ramassée, s'effacent, jusqu'à ce qu'il ne reste rien. Ca marmonne et souffle, ça étouffe de rire gras en sourdine.

 

La lumière se diffracte. Je suis au monde et n'y suis pas. Sans intention, je retrouve la sensation de l'acte photographique, écrire la lumière. Le tissu urbain me porte vers un sentiment de liberté. Du sens, sans direction, pérégrinations répétitives qui me mènent à, vers quoi, et pourquoi ? Quelque chose arrive sur ce territoire auquel je n'appartiens pas, passager clandestin. Je fixe les sensations des nuits acides. Dakar, nuit.

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Dakar Nuit

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